
Alain Bittar, un puzzle humain devenu passeur de cultures
Ces cœurs qui battent pour Genève ! Le CDE présente une rencontre mensuelle, en principe chaque dernier lundi du mois, nous amenant à rencontrer "7coeurs qui battent pour Genève". Au départ, cette initiative est née grâce à l’ouvrage "126 battements de cœurs pour Genève", écrit par Zahi Haddad et publié par les éditions Slatkine, présentant 126 personnalités proches de la Genève internationale, dont les parcours de vie sont inspirants. Voici le portrait de Alain Bittar que vous pourrez rencontrer lors du dîner-débat du lundi 27 juin.
Alain Bittar
- Le Caire – Egypte, 1953
- Culture – Librairie L’Olivier
- « La convivialité des Pâquis, où les différentes Genève se côtoient. »
Au milieu des gentianes et des edelweiss, Alain Bittar joue dans les pâturages et traverse la Sarine à cheval. Placé dans un internat à Château-d’Oex dès l’âge de six ans, il met des parenthèses à sa naissance au Caire, dans l’Egypte de Nasser, et à ses premiers pas à Khartoum, dans un Soudan qui vient d’accéder à l’indépendance et qui accueille les Bittar depuis deux générations. L’éducation qu’il reçoit est des plus classiques. Loin de l’Orient auquel il était destiné. « Je n’avais alors aucune idée de ce que pouvait être la culture arabe. » Celui qui devait d’abord s’appeler Mounir fait déjà le grand écart entre deux mondes, deux identités qui lui échappent mais qu’il réconciliera au fil des ans, à l’ombre de son Olivier.
La suite de sa scolarité, Alain la passe à Gen.ve, à l’Institut Florimont, « un environnement multiculturel et privilégié ». Sa famille l’a rejoint et s’est installée près des ateliers de Sécheron. À cette période, « je ne me sentais ni identifiable, ni discriminé… contrairement aux Fribourgeois, moqués pour leur accent ! » Dans ce milieu « populaire », il vit son adolescence, porté par les mouvements sociaux de la fin des années soixante. Alain descend dans la rue, manifeste contre les injustices de la planète qui saigne, se soulève, se libère. Cet engagement lui vaut d’être exclu de son école. De voir la naturalisation suisse lui échapper. À la même époque, le Soudan nationalise, confisque les biens de la famille Bittar, lui retire ses passeports. L’apatridie ouvre alors les bras à Alain, dont le destin bascule. Sans citoyenneté, il sait que nombre de portes professionnelles vont se fermer.
Un puzzle humain devenu passeur de cultures
Il s’inscrit alors en sciences politiques, un cursus qui va lui permettre de se « réapproprier l’histoire du monde arabe dont j’ignorais tout et qui ne m’appartenait pas ». D’ailleurs, pour satisfaire sa curiosité, maintenant piquée au vif, Alain s’embarque à la découverte de plusieurs pays arabes. En auto-stop. Des périples qui vont étirer ses études sur près d’une décennie. Parmi leurs multiples souvenirs, les yeux rieurs d’Alain se souviennent de ce séjour au Liban, la terre ancestrale des Bittar. « C’était en 1975, la guerre venait de commencer et j’ai décidé de partir aider les Palestiniens qui vivaient dans la précarité de leurs camps. À Genève, ils m’avaient adopté car, comme eux, je n’avais pas de frontières. » Alors, dix-huit mois durant, Alain documente son séjour, apprend les coutumes et finit surtout par maîtrise l’arabe.
À son retour à Gen.ve, il se voit toujours refuser la nationalité suisse, mais obtiendra plus tard le passeport français par mariage : « Un comble, sachant que je ne connaissais pas la France. » À vingt-six ans, avant son dernier examen, Alain plante L’Olivier rue de Fribourg. « Un symbole de paix entre les deux rives de la Méditerranée. » Mais aussi, « dans le Coran, un arbre sacré qui n’appartient ni à l’Orient ni à l’Occident », comme il l’apprendra plus tard. La librairie irradie les Pâquis de son aura. Alain est partout. Livres, disques, journaux, films sont pris d’assaut par les diplomates étrangers, des touristes venus de loin, les communautés arabes de Genève, qui profitent de ces bulles de liberté souvent censurées dans leur pays d’origine. Espace de rencontre, L’Olivier attire, de partout, des artistes et des intellectuels renommés, comme Marcel Khalifé, Amin Maalouf ou Yasmina Khadra.
Un jour de 2006, Alain reçoit la Médaille Genève reconnaissante. En larmes, il déclare au maire de la Ville de Genève et à ses hôtes du jour : « En me l’octroyant, vous avez fait de moi une passerelle entre les cultures. ». Et ce rôle, « c’est mon plaisir ». Cette identité enfin révélée.
Zahi Haddad